samedi 11 septembre 2010

Le terrain miné sert d’aire de jeux aux enfants

Dans le Var, enclavé dans un domaine privé, un terrain militaire appartenant à la Marine nationale recèle des engins explosifs datant de la Deuxième Guerre mondiale

C’est un dossier ubuesque comme l’administration française en a le secret, qui a pour décor le cap Bénat, lieu de résidence paradisiaque des plus riches contribuables français. Petite pointe rocheuse sur le littoral méditerranéen du Var, situé sur la commune de Bormes-les-Mimosas et face au cap Nègre, si cher au président de la République, le promontoire est un havre de paix résidentielle. Largement couvert de pins, il est potentiellement sujet aux incendies de forêts. Son urbanisation remonte aux années 1950. Longtemps inhabité, il a été très lentement loti pour former le Domaine privé du cap Bénat. La SA du domaine du Gaou-Bénat obtint l’autorisation de lotir le « domaine du Gaou-Bénat » par arrêté préfectoral du 16 septembre 1958.

« Une parcelle de 65 000 m2 laissée complètement à l’abandon depuis vingt ans »
Parmi les premiers résidents, on compte le président de la République Vincent Auriol en personne. A l’époque, il se bat pour faire venir l’eau potable au domaine… tout comme Nicolas Sarkozy qui se bat aujourd’hui pour faire installer l’assainissement public au cap Nègre. Autre époque, même combat !
Actuellement, le cap Bénat accueille exactement 680 villas, ce qui rend l’endroit extrêmement sensible au moindre départ de feu. « D’où les injonctions régulières du préfet du Var nous intimant l’ordre de déboiser nos parcelles et ce, dans la limite de 50 mètres autour de nos propriétés pour prévenir tout risque d’incendie. Si l’arrêté du préfet est légitime, explique ce résident, il faut qu’il s’applique également à l’administration, en l’occurrence la Marine nationale, propriétaire d’une parcelle de 65.000 m2 laissée complètement à l’abandon depuis vingt ans au moins ! Et qui plus est, polluée par des engins de guerre datant de la Deuxième Guerre mondiale ! »

Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir alerté les autorités comme en témoignent les différents courriers adressés au préfet du Var. Ainsi, cette lettre du 23 août 2001 dans laquelle contre-amiral Marcus reconnaît, à demi-mot, la dangerosité du site : « Le site du cap Blanc est chargé d’histoire et en porte naturellement les traces. Sa dépollution dans un cadre difficile de rocailles et de garrigues, au voisinage de nombreuses habitations fait l’objet d’une étude minutieuse. » Le haut gradé de la marine promettait dans la même missive une conclusion du dossier pour le printemps 2002. Huit ans plus tard, il n’a pas avancé d’un centimètre !

Des règlements parfaitement contradictoires
« Certes, à chaque fois la réponse s’est voulue rassurante, en nous promettant de faire avancer le dossier. Mais, dans les faits, il ne s’est strictement rien passé durant ces quinze dernières années », s’indigne encore ce PDG d’une grande société exportatrice française, leader dans le monde dans son activité, dont la villa est située à moins de 100 mètres du terrain bourré d’explosifs.

Pour expliquer l’enlisement incroyable de ce dossier, il faut tenir compte de la capacité de l’administration française à pondre des règlements parfaitement contradictoires.

« Ainsi, explique-t-on à la préfecture maritime, pour obtenir l’autorisation de débroussailler le terrain, il faut une attestation comme quoi le terrain est dépollué. Et pour faire intervenir les démineurs pour retirer les engins de guerre, le terrain doit être débroussaillé ! » Imparable ! Et la situation dure depuis vingt ans.

« Des travaux estimés à 200.000 € »
Le dossier se complique encore avec la rigueur budgétaire. Comme toutes les administrations, l’argent ne coule plus à flot dans les casernes. Pour dépolluer le terrain, il faut engager des travaux estimés à 200.000 €. « Or cet argent, l’Etat ne l’a pas. Et l’argent disponible est affecté en priorité à des dossiers jugés plus urgents. Résultat, rien n’est prévu à court terme », regrette, sincèrement, l’ingénieur général Jean-Pierre Cordier, chargé des travaux maritimes sur la façade méditerranéenne.

Le haut fonctionnaire est conscient qu’en cas d’incendie ou d’accident, sa responsabilité serait directement engagée. « Mais, le marché de dépollution qui avait été passé en 2004 a été cassé par le Contrôle général des armées. Seule une décision d’Hervé Morin, le ministre de la Défense, pourrait faire repasser le terrain de Bénat en bonne place », reconnaît Jean-Pierre Cordier.

De son côté, un résident du cap Bénat s’alarme. « Ce que ne sait sans doute pas le ministre de la Défense, c’est que des enfants ont transformé ce maquis miné en… terrain de jeux. Personne n’est à l’abri d’un accident ni d’un incendie déclaré imprudemment d’autant que le terrain n’est plus fermé, l’ancienne clôture ayant rendu l’âme depuis belle lurette. Et n’a jamais été remplacée ! »

Par chance, depuis 2000, les constructions nouvelles ont été refusées par la commission départementale des sites, ce qui a évité une nouvelle urbanisation sur les parcelles alentours encore vierges de toutes constructions. Mais, au cap Bénat, la colère couve toujours.

http://www.francesoir.fr/armee/le-terrain-mine-sert-d-aire-de-jeux-aux-enfants.20780

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