mardi 26 mars 2013

Haro sur le bœuf brésilien

Le Brésil possède le plus grand cheptel bovin au monde et est également le premier exportateur de viande bovine. En outre, Brasilia occupe la troisième place en termes de consommation par habitant – 38,5 kilos en moyenne l’an dernier, derrière l’Argentine et l’Uruguay. Néanmoins, l’importance de la production est loin de garantir la qualité de la marchandise en bout de chaîne. Plus de 30% de la viande vendue au Brésil est clandestine – ce qui signifie une absence de contrôle, de très mauvaises conditions d’hygiène la plupart du temps et la forte probabilité qu’elle soit contaminée par des bactéries et des vers à l’origine de maladies comme la salmonellose ou le téniasis.

En parcourant les abattoirs [municipaux et gérés par les Etats] dans cinq Etats du Brésil, nous avons été confrontés à une situation qui enlèverait l’appétit au plus vorace des carnivores. Dans plusieurs d’entre eux, les carcasses sont transportées sur le dos nu et transpirant des employés pour ensuite être découpées sur des tables immondes et moisies. Sans protection, ils utilisent des couteaux rouillés, qui sont "nettoyés" sur les murs et les coins des tables. Il est fréquent de voir le sang des animaux s’écouler directement dans les rivières et les étendues d’eau voisines. Les urubus [vautours d’Amérique] et les chiens sont bien évidemment présents pour profiter des restes.

La marchandise exportée est mieux contrôlée

Cette viande, manipulée dans des conditions d’un autre temps et le plus souvent contaminée, est consommée exclusivement au Brésil. La viande exportée est obligatoirement soumise à une inspection très rigoureuse du SIF [les services fédéraux]. Près de 300 chambres froides au niveau national bénéficient de ce contrôle. Pour chacune d’entre elles, une équipe d’au moins dix employés est mobilisée afin de s’enquérir de l’état des bâtiments où les animaux sont tués et emballés ou bien encore des conditions d’hygiène et de santé des bovins. Des échantillons de viande sont analysés régulièrement par un réseau de 600 laboratoires. Cette viande est à la fois exportée et présente dans les principaux lieux de vente du pays. Dans la capitale et les grandes villes, peu d’établissements prennent le risque de vendre de la marchandise non visée par les services fédéraux.

C’est sur les emballages où figurent les tampons des services municipaux ou des Etats que les suspicions sont les plus grandes. Les abattoirs que nous avons visités relevaient de ce cas de figure. Le fait qu’ils ne soient pas sujets aux mêmes exigences de contrôle que les établissements qui opèrent sous surveillance des autorités fédérales ouvre des brèches alarmantes. Ainsi, il arrive très souvent que les vétérinaires censés s’assurer du bon état de santé des animaux abattus dans ces endroits soient recrutés et payés par les abattoirs eux-mêmes. Leur présence se fait donc rare.

Plus qu'un simple coup de tampon

La fréquence des dysfonctionnements dans les abattoirs atteste que les contrôleurs, eux non plus, n’accomplissent pas leur devoir. "Inspecter ce n’est pas seulement mettre un coup de tampon, mais une procédure responsable et méticuleuse. Si les vétérinaires n’inspectent pas la viande et les contrôleurs ne vérifient pas le travail des vétérinaires, le tampon ne garantit pas la sécurité du produit" estime le médecin vétérinaire Antonio Jorge Camardelli, président de l’Association brésilienne des Industries exportatrices de viande. Ces cinq dernières années, plus de 80 000 hospitalisations ont eu lieu dans les hôpitaux brésiliens pour cause d’ingestion de viande contaminée. Cela place le Brésil parmi les pires pays en termes de conditions sanitaires.

Le gouvernement admet la gravité de la situation. "Nous avons cherché à renforcer le SIF en étant moins attentifs à la viande commercialisée au Brésil sous un autre régime de contrôle. A présent, nous allons agir à ce niveau" affirme Enio Marques, un haut responsable du ministère de l’Agriculture. La signature d’un décret qui dort dans les recoins du Palais du Planalto [siège de la présidence de la République] pourrait être un bon début. Il prévoit des contreparties et des incitations financières pour les municipalités et les Etats qui parviennent à hausser leur niveau de contrôle à la hauteur de celui des services fédéraux.

Les abattoirs concernés pourraient ainsi gagner le droit de vendre leur viande dans tout le Brésil, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui (le commerce est restreint aux limites du territoire de production). Néanmoins, pour que cette politique réussisse, le gouvernement ne doit pas relâcher ses exigences, sous peine d’homologuer la viande de producteur malhonnêtes. Les Brésiliens en ont assez des tampons qui ne garantissent rien et des lois qui ne servent à rien.


http://www.courrierinternational.com/fiche-pays/bresil

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