Le scandale avait atteint des proportions mondiales, au début
des années 60. Et les images de bébés aux membres atrophiés, aux organes
génitaux déformés, sont devenues le symbole d'un des pires épisodes de
l'histoire de la recherche pharmaceutique. Le thalidomide, médicament miracle
devenu en quelques années un produit tabou, y avait gagné une réputation
sulfureuse qui l'accompagne encore aujourd'hui. Même si la substance a depuis
tenté un retour dans le traitement de certaines maladies graves, en l'absence de
toute autre option médicamenteuse...
Il a été estimé qu'environ 10.000 enfants sont nés avec des
déformations - parfois une absence de certains membres - après que leur mère eut
pris cette substance durant sa grossesse. Au moment où le scandale avait éclaté,
le thalidomide était prescrit aux femmes enceintes pour soigner les nausées
matinales. Si ce médicament fut vendu dans près de 50 pays (à l'exception de la
France, où il n'avait pas eu le temps d'obtenir une autorisation de mise sur le
marché) avant d'être retiré en 1961, c'est surtout en Allemagne qu'il fit le
plus de dégâts. Il était en effet produit et commercialisé par la firme
allemande Grünenthal sous l'appellation Contergan. Un document diffusé par le Sénat belge en février
2010 évaluait alors, en s'appuyant sur plusieurs études, le nombre de victimes à
plus de 3000 dans l'ex-Allemagne de l'Ouest, contre environ 350 au Royaume-Uni
ou 150 en Suède.
Le silence face aux victimes
Jamais cependant le groupe Grünenthal n'avait voulu évoquer le
scandale, qui avait pourtant débouché en 1963 sur un procès retentissant, le
plus vaste organisé dans ce pays depuis le procès de Nuremberg avec quelque 400
plaignants. Jamais... jusqu'à aujourd'hui. Dans un discours inédit, le directeur
exécutif de Grünenthal, Harald Stock, a déclaré vendredi que son entreprise
était "vraiment désolée" pour son silence envers les victimes du thalidomide.
"Nous demandons que vous considériez notre silence comme un signe du choc que
votre destin nous a causé", a avancé Harald Stock.
Une main tendue aux victimes du thalidomide qui, malgré son
aspect historique, ne convainc guère les associations de victimes. Freddie
Astbury, consultant en chef de l'association Thalidomide Agency UK, a répondu
que la firme devrait "accompagner ses paroles d'un investissement financier"
plutôt qu'exprimer un simple regret.
Le problème des compensations financières pour les victimes du
thalidomide, dont beaucoup vivent encore aujourd'hui, se pose en effet toujours.
Dans les pays (comme l'Allemagne) qui ont organisé des procès, bien souvent,
ceux-ci se sont conclus par des accords entre les plaignants et le groupe
pharmaceutique. Grünenthal a par exemple créé une fondation en Allemagne sous le
nom Hilfswerk für behinderte Kinder. Au Royaume-Uni, ce sont les autorités
britanniques elles-mêmes qui ont créé le Thalidomide Trust, financé par la
Distillers Biochemicals Ltd (le thalidomide était diffusé dans ce pays par la
Distillers Company sous l'appellation Distaval). En Belgique, il a fallu
attendre février 2010 pour qu'une fondation similaire voie le jour, marquant
ainsi une reconnaissance implicite de la responsabilité de l'Etat belge.
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