dimanche 22 août 2010

La justice suisse refuse de se pencher sur un trafic de diamants

Depuis 2005, un juge d'instruction au tribunal d'Anvers, en Belgique, tente de dénouer les fils d'un vaste trafic de diamants passant par Israël, puis les ports francs de Genève, avant de rejoindre Anvers, premier pôle mondial dans le négoce de pierres précieuses. Les montants en jeu portent sur près de 400 millions d'euros. Mais le 14 juillet dernier, le Tribunal pénal fédéral (TPF), la plus haute instance judiciaire de la Confédération, a opposé une fin de non-recevoir à la justice belge. Le TPF refuse la transmission de documents saisis dans une société fiduciaire genevoise, chargée de la comptabilité de deux entreprises costaricaines installées aux ports francs de Genève, spécialisées dans le transport de diamants.


Motif de ce refus d'entraide judiciaire ? Selon les magistrats suisses, le juge d'instruction belge n'aurait pas démontré qu'il y a bien eu, à la clé, une escroquerie fiscale ! Pourtant, des pièces du dossier, que Le Point a pu consulter, atteste du cheminement pour le moins curieux des gemmes. Entre 2001 et 2006, des diamantaires israéliens expédient à des sociétés offshore installées dans les ports francs de Genève des lots de diamants bruts. "Sans qu'aucune opération ne fût exécutée sur lesdits lots, ils étaient rapidement réexpédiés à destination d'Anvers avec une augmentation de valeur que rien ne justifiait." Une augmentation de 350 % en moyenne...


Genève veut concurrencer Anvers

Il ne s'agit apparemment pas de quelques "petits cailloux grossiers et sales", pour reprendre l'expression de la top-model britannique Naomi Campbell, évoquant les diamants que lui auraient remis des émissaires de l'ancien dictateur du Liberia Charles Taylor lors d'un dîner philanthropique. L'enquête parle de "561 importations de diamants bruts, d'une valeur de plus de 370 millions d'euros", et décrit des circuits pour le moins curieux : "Des diamants taillés et des bijoux seraient importés en Belgique depuis Genève et apparemment destinés à l'île Maurice, après un retour à Genève."


En fait, les ports francs de Suisse, et notamment ceux de Genève et de Zurich, s'apparentent à des zones de non-droit, "où les lots venant de différents pays sont mélangés. Cela permet de rendre impossible d'identifier la provenance d'un diamant", assure Gilles Labarthe, auteur de L'Or africain, et qui a consacré une enquête au marché du diamant en Suisse intitulée : Et si on se taillait une bonne réputation ? Il s'agit de contourner le "processus de Kimberley", qui tente, depuis 2002, d'empêcher l'accès des diamants dits "de conflits" aux marchés légaux grâce à un système de certification. Ces "diamants de sang" sont des diamants bruts en provenance de régions contrôlées par des groupes rebelles, particulièrement en Afrique.


"Certes, la Suisse a adopté le processus de Kimberley, mais mes contacts à Berne, notamment au secrétariat d'État à l'économie, ne m'ont pas donné l'impression qu'il y avait une véritable volonté politique pour mieux contrôler ce que recèlent les ports francs", constate Loubna Freih, membre du comité exécutif de Human Rights Watch Genève. "Officiellement, la Suisse n'importe plus de diamants du Zimbabwe depuis 2006. Mais je crois savoir qu'il en arrive toujours", ajoute-t-elle. La cité de Calvin envisage même de concurrencer Anvers, avec la création de la fondation Geneva Diamond Centre, qui a loué 3.000 m2 aux ports francs de Genève...
http://www.lepoint.fr/monde/la-justice-suisse-refuse-de-se-pencher-sur-un-trafic-de-diamants-20-08-2010-1227039_24.php

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