jeudi 13 octobre 2016

Monoxyde de carbone: des locataires en galère rue du Faisan

D’intimidants panneaux en bois bloquent les portes d’entrée de leurs appartements. Les habitants du 8 rue du Faisan, au centre-ville de Strasbourg, n’ont l’autorisation d’accéder à leur logement que deux petites matinées par semaine. Une vraie galère partagée depuis plus de deux mois par douze locataires, dont une adolescente de 15 ans, répartis dans trois appartements.
Leur expulsion date de la fin du mois de juillet. La mesure, prise par la Ville de Strasbourg, est censée être temporaire. Elle fait suite à des mesures de monoxyde de carbone inquiétantes. Le gaz, potentiellement mortel, s’est glissé jusque dans les logements. Et cela fait bientôt deux ans que ça dure.

L’origine de cette nuisance n’a jamais vraiment fait de doute pour les locataires

Ce sont les locataires eux-mêmes qui ont alerté le service hygiène et santé environnementale de la Ville, fin 2014. A l’époque, ils avaient constaté des « odeurs de fumée et de cuisson » quotidiennes dans leurs appartements. Des analyses avaient été faites, des détecteurs installés dans les appartements, et des travaux effectués sur la ventilation de l’immeuble. Des mesures ont aussi été prises, parmi lesquelles l’interdiction d’habiter deux chambres d’un appartement du 2e étage.
En mars 2015, « toutes les chaudières ont été changées », relate un habitant. La situation ne s’est pas améliorée pour autant : « Le soir même, les détecteurs ont sonné. On a appelé les pompiers. »
Les habitants commencent alors à s’inquiéter sérieusement. Certains se souviennent d’une fumée « opaque » dans leur logement et l’une des locataires est « prise de vertiges ». D’autres sont sujets à des maux de tête.
Les nouvelles mesures faites par la Ville, en 2016, confirment le danger. Et en juillet dernier, le couperet tombe : il faut évacuer d’urgence. L’heure n’est pas à la négociation. La municipalité bloque tout accès aux logements.
L’origine de cette nuisance n’a jamais vraiment fait de doute pour les locataires du 8 rue du Faisan : elle provient selon eux, depuis le début, de la cuisine du restaurant du rez-de-chaussée, La Pampa.
« Toutes les autres sources possibles de monoxyde de carbone ont été neutralisées », diagnostiquent-ils en mettant en avant leur expérience : « Cet été, le restaurant est resté fermé dix jours. Il n’y avait plus aucune présence de monoxyde de carbone. »
Même analyse du côté du propriétaire de l’immeuble, qui a accueilli le Tiger Wok de 2001 à 2013, « sans aucun souci ». « La solution, c’est de changer le mode de cuisson, expose Daniel Bintz. Abandonner le bois et repasser au gaz, pour que les locataires puissent rentrer chez eux. C’est une question de bon sens. »

« On vit tous des situations de merde »

Pourtant, des pics de dégagement de CO ont été enregistrés lors d’autres moments de fermeture. La propriétaire du restaurant met d’ailleurs en avant tous les travaux et efforts qu’elle a entrepris pour améliorer cette situation complexe (lire l’encadré).
La Ville, dans son diagnostic réalisé cet été, conclut à une origine « multifactorielle » du phénomène, « favorisée par la porosité du bâtiment ». « C’est facile de dire ça, réplique Daniel Bintz. Dans le coin, tout date du XVIIe siècle. » Après les travaux réalisés, celui-ci se dit, de son côté, à court de solutions.
Les douze locataires de la rue du Faisan se sentent aujourd’hui les victimes d’un conflit qui les dépasse. « On vit tous des situations de merde », disent-ils crûment. Travailleurs indépendants, étudiants ou employés, leurs situations sont variées, mais tous sont désabusés face à ce relogement temporaire… qui s’éternise.
L’une des locataires en est à son troisième déménagement en deux mois. Certains ont trouvé refuge grâce à la municipalité dans des logements vacants, d’autres en appart’hôtel ou tout simplement chez des amis accueillants. Ceux qui travaillent à domicile sont obligés de squatter les cybercafés. Plusieurs ont dû annuler leurs vacances.
« Tout le monde se rejette la balle, regrettent-ils. Ce qui est absurde, c’est que la Ville ait préféré régler le problème en relogeant douze personnes plutôt qu’en statuant sur l’activité du restaurant. »
La municipalité rappelle que face aux dangers des émanations oxycarbonées, il lui était « impossible de ne pas prendre les mesures de protection indispensables ». Pierrette Gunther-Saës, directrice du pôle sécurité, prévention et réglementation de la Ville, admet que le dossier « traîne en longueur » du fait notamment de l’expertise judiciaire demandée par le bailleur.
« On souhaite apaiser les choses, poursuit Pierrette Gunther-Saës. Si on n’obtient pas de réponse rapide du tribunal, on va de nouveau réunir tout le monde pour avancer. »
http://www.dna.fr/edition-de-strasbourg/2016/10/13/locataires-en-galere

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